Auschwitz  4 Février 2017

Mes chères amies,

La journée a été longue, fatigante,  et dans quelques instants nous allons repartir vers la France, nos maisons, nos familles, nos amis, nos lycées, nos boulots.
Alors, avant de quitter ce lieu de désolation, je voudrais, avec vous, rendre hommage à Simone Veil dont nous avons beaucoup parlé depuis ce matin.
Aujourd’hui, Madame Veil n’est plus là, avec nous, mais elle est dans nos pensées, elle qui avait si souvent dit que lors de son dernier soupir, c’est encore et toujours à la Shoah qu’elle penserait.
Je l’ai accompagnée ici.  Je l’ai écoutée ici.
Parfois elle portait  témoignage pour tous les juifs assassinés.
Parfois, elle portait témoignage pour toutes les femmes assassinées.
Parfois, elle portait témoignage pour toutes les jeunes mères accouchées, aux nouveaux nés aussitôt étouffés, ou jetés vivants sur les barbelés.
Quel message était le sien ?

Que si nous devions avoir de la compassion pour toutes les souffrances, nous devions absolument  comprendre la nature unique et monstrueuse de la Shoah et ne pas la confondre avec d’autres massacres, guerres et conflits ; sinon, nous courions le risque de nous tromper sur les solutions politiques pour prévenir, enrayer ou résoudre ces conflits et tenter de se réconcilier ensuite.
Cette exigence du respect de la vérité était chevillée chez Simone Veil, et je suis sûre qu’elle aurait été indignée d’entendre la Pologne aujourd’hui, par la voie de ses représentants, oser affirmer que certains Polonais n’avaient pas prêté main forte aux nazis dans l’assassinat des juifs de Pologne, et décider de punir ceux qui oseraient l’affirmer.  
Par ailleurs, elle  souhaitait aussi toujours rendre hommage à ceux dont l’humanité et le courage l’avaient emporté, les « Justes parmi les nations » et les Résistants.
Elle, avait également toujours été soucieuse de réconciliation, en particulier entre la France et l’Allemagne et elle espérait de toute son âme que la paix arrive enfin entre Palestiniens et Israéliens. Israël, un pays qu’elle connaissait bien et qui lui était cher, où elle avait gardé des amitiés très fortes : des amies  du camp qui en 1945, la guerre finie, avaient décidé d’aller en Palestine, devenue, en 1948, pour partie, Israël.
Alors, ce soir,  je voudrais juste redire de vive voix que le plus grand hommage que nous puissions lui rendre, c’est de nous montrer dignes d’elle, elle, la survivante, l’européenne, dont la vie fut un exemple de courage, de force pour essayer de réparer ce monde, le laver des injustices, des humiliations, des violences faites aux femmes, et bien sûr de  la haine antisémite et raciste.
Je voudrais, avec mes mots, vous dire aussi qu’Auschwitz n’est pas seulement le lieu d’une tragédie passée.  Ni un lieu hors du temps présent.
En effet, quand le monde va mal, quand les conflits ne se règlent pas, quand nous voyons des  régimes qui étouffent les libertés, fabriquent des sociétés d’intolérance, quand nous voyons progresser  le fanatisme, la montée des extrêmes-droites populistes, le terrorisme islamiste, les inégalités et l’immense pauvreté, alors … Auschwitz est le lieu de la réflexion.
Un lieu où chacun, chacune est face soi-même, sur l’essentiel,  un lieu qui permet de s’extraire un peu de la fureur du monde pour en quelque sorte se mettre sur pause.
Pause.
Un  lieu où grands ou petits engagements peuvent être pris.
L’engagement  d’essayer à son tour, courageusement,  d’apporter au monde un petit peu plus de justice et de  bienveillance. L’engagement de ne jamais détourner le regard  et passer son chemin quand on tue ou frappe un petit enfant parce qu’il est juif, ou une femme musulmane, parce qu’elle porte un voile ou qu’elle ne le porte pas.
Alors, merci Samia, Suzanne, Véronique, Aude d’avoir décidé, comme première initiative de votre nouvelle association  « langage de femmes », d’avoir organisé ce voyage et de m’y avoir conviée.
Voilà, nous allons bientôt repartir : jeunes et moins jeunes, à la fois différentes et semblables, chacune avec nos sentiments, nos pensées propres qui chemineront, s’approfondiront,  se confronteront à d’autres. J’espère que vous continuerez, chères amies, toujours plus nombreuses, à porter les valeurs de partage et d’humanité qui nous ont réunies ici aujourd’hui, dans ce lieu précis où ces valeurs furent piétinées.
Je souhaite vraiment que vous reveniez de ce voyage sans désespoir mais avec confiance en vous, avec la force qui est en chacune d’entre vous, d’essayer, comme Simone Veil,  de rendre le monde meilleur que vous ne l’avez trouvé.

Anne-Marie REVCOLEVSCHI
Anne-Marie REVCOLEVSCHIMarraine